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A presentation done in November 2006 by Michel Loriaux mentioning in detail the theory put forward in my book The Self-Imposed Failure of Retirement Systems (2003) (see yellow marks pages 18-19, shortcut). This presentation was done at the workshop "Improving intergenerational relations", sponsored by the foundation of King Baudouin, in Brussels, Belgium.
Michel Loriaux: "Les actions intergénérationnelles au service de la cohésion sociale dans les sociétés vieillissantes", speech at workshop "Improving intergenerational relations", sponsored by the Roi Baudouin Foundation, Brussels, Belgium, at National Bank Auditorium, 27 November 2006.

Papers by same author on this site:
–Michel Loriaux:  Paper 1  Conference and Debate at Central Council for Economy, Belgium)   (Jun 2004)
–Michel Loriaux:  Paper 2 "La Gestion économique et sociale de la pyramide des âges", dans: Démographie, Analyse et Synthèse.   (Jun 2006)
–Michel Loriaux:  Paper 3  Sur la solidarité intergénérationnelles et la cohésion sociale, à la Fondation Baudoin.   (Nov 2006)

Safety of internet version: Mar 2007. PDF file. Source.
The Failure of Retirement Systems
Cosandey



Les actions intergénérationnelles au service de la cohésion sociale dans les sociétés vieillissantes
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Les actions intergénérationnelles au service de la
cohésion sociale dans les sociétés vieillissantes
Michel LORIAUX
Institut de Démographie - UCL
Communication au séminaire "Comment favoriser les relations
intergénérationnelles", organisé par la Fondation Roi Baudouin
Bruxelles, Auditorium de la Banque Nationale, 27 novembre 2006

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L'intergénérationnel: une question de concept
L'intergénérationnel est à la mode comme le sont, ou l'ont été en d'autres temps,
la démocratisation de la justice ou la préoccupation écologique. Le terme est non
seulement utilisé comme adjectif, par exemple dans l'expression "relations
intergénérationnelles", mais aussi comme substantif quand on parle de
"l'intergénérationnel" tout court, et on sait que de nombreuses associations
orientées vers le troisième âge ont composé leur nom à partir de références à
l'âge ou aux générations : "Entr'Ages", "Mix'Ages", "Courant d'Age", "Part Age",
"Link Age", "Générations solidaires", etc.
En fait, au-delà des mots, l'intergénération est aussi un concept, au même titre
que beaucoup d'autres, comme le développement, la mondialisation, le genre, la
solidarité, l'intégration, l'équité, la qualité de vie, etc.
Et il est vrai que nous avons besoin de concepts pour donner un cadre structuré à
notre réflexion sur les faits sociaux, pour comprendre les mécanismes de leur
évolution ou pour assigner des objectifs à nos actions.
L'ennui, c'est que les concepts sont aussi des abstractions, des idées sans
contrepartie réelle immédiate, visibles et compréhensibles de tous, de sorte que
chacun n'a pas forcément une perception identique des mêmes concepts et
surtout que ces concepts sont souvent chargés de dimensions idéologiques
occultées, qui peuvent amener certains à les utiliser à des fins détournées de leur
conception initiale.
De ce point de vue, l'intergénérationnel n'est sans doute pas le concept le plus
suspect d'abus d'usages ou de détournements, mais il faut quand même
reconnaître qu'il est loin d'être transparent et qu'il reste ambigu, en partie déjà
peut-être simplement parce que la notion de génération n'est pas elle-même
univoque et simple à décrire. Depuis longtemps les sociologues et d'autres
scientifiques s'y sont essayés, sans toutefois forcément réussir à se mettre
d'accord.
Au fait, c’est quoi une génération ?
Les démographes ont pour leur part une approche assez simple, mais qui se
révèle vite simpliste, puisqu’ils parlent généralement des générations en les
décrivant comme des “cohortes” qui désignent des personnes ayant en commun
d’être nées durant une période déterminée, généralement l’année civile. Mais
cette façon de procéder laisse apparaître rapidement ses limites, car le critère qui
cimente la cohorte et rassemble ses membres est assez fragile, sans contenu
social, ni sociologique.

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D’où la tentation de vouloir identifier les générations en établissant des relations
entre un faisceau de classes d’âges et des événements qui ont pu marquer les
individus qui les composent à un moment ou l’autre de leur cycle de vie, ou avec
des conditions de vie commune. Malheureusement, ce qui peut paraître simple
en théorie se révèle souvent très complexe en pratique, car une génération n'est
pratiquement jamais désignée par un seul événement ou une seule condition,
mais bien par une succession d’événements ou de conditions : de surcroît, ces
mêmes événements ou ces mêmes conditions ne sont généralement pas le fait
d’une seule génération, ou d’un seul faisceau de générations, mais de l’ensemble
de toutes les générations qui constituent une société et qui ont simplement subi
ces événements ou ces conditions à des âges différents. C’est ainsi que l’on peut
parler des générations du baby boom, de la télévision, de la pilule contraceptive,
de Mai 68, de l’ordinateur familial, de l’écologie, etc..., mais en reconnaissant
qu’il s’agit plutôt là de labels à connotation publicitaire qui constituent des
repères chronologiques commodes, sans plus.
La preuve c’est que, bien souvent, les membres d’une de ces pseudo-générations
n’ont pas une conscience très nette d’y appartenir : ainsi les enfants dits du
“baby boom”, c’est-à-dire ceux qui ont en commun d’être nés pendant une période
de reprise de la fécondité (pratiquement entre 1945 et 1965), ne sont pas pour
autant automatiquement sensibilisés par cette situation commune. Par contre, il
est possible qu’à l’aube du XXIè siècle, les générations “pleines” du baby-boom
prendront conscience des dangers qui pèsent sur le financement de leurs
retraites du fait de la réduction des classes actives constituées par les
générations “creuses” d’après 1965, et qu’elles décideront de s’organiser
davantage en mouvement de revendication sociale et de pression politique.
Dans pareil cas, le facteur qui a donné naissance à l’unité de la génération n’est
pas à proprement parler l’événement-source (le “baby boom”), mais l’évolution
sociétale qui a braqué depuis plusieurs années les projecteurs de l’actualité sur
le secteur de la sécurité sociale. A travers de tels exemples, on voit que la
stratification des âges ne peut être assimilée à une simple superposition de
générations qui seraient identifiées simplement par leur date de naissance.

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Figure 1 : Un exemple de chronologie utile pour le « marquage » historique des
générations
Source : E. Franken, Peut-on créer de l’intergénérationnel ?, L’Observatoire, 2000, N° 29,
p 79
Sans doute les choses seraient-elles infiniment plus simples pour les sociologues
s’il en était bien ainsi et si, de surcroît, l’échelle des âges présentait une
correspondance stricte avec l’échelle des valeurs, celle des attitudes ou celle des
statuts sociaux. Mais heureusement pour l’autonomie et la liberté humaine, il
n’en est rien, et le marquage d’une génération par un événement n’est le plus
souvent qu’une “construction rétrospective et sélective”, c’est-à-dire un artefact
intellectuel qui peut devenir dangereusement réducteur s’il est manipulé sans
précaution.
Toutes les sociétés humaines sont multigénérationnelles...
Cependant, le plus important n’est sans doute pas d’identifier et de marquer
chaque génération, ce qui serait une opération sans grande utilité et
probablement vouée à l’échec, mais bien de reconnaître le caractère
multigénérationnel de toute société humaine, c’est-à-dire non seulement le fait
qu’elle est constituée de plusieurs générations, mais surtout celui qu’elle est faite
du croisement, de l’intersection et de la pénétration de toutes ces générations et
non de leur simple empilement.

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Par ailleurs, la vision horizontale des générations successives qui forment la
trame de l’évolution historique des sociétés serait incorrecte si elle n’était pas
complétée par une perspective verticale mettant les générations en rapport via
les liens de filiation au sein de la famille et de la parentèle. La trame
générationnelle d’une société est donc nécessairement double, à la fois
horizontale et verticale, ou longitudinale et transversale, dans la terminologie en
usage chez les démographes.
Bien entendu, une telle situation a toujours existé et, à ce titre, on pourrait donc
dire que la préoccupation intergénérationnelle répond plus à un effet de mode
qu’à une véritable innovation. Et il est vrai qu’autrefois les difficultés de survie
qui s’imposaient à tous les groupements humains rendaient nécessaires
certaines formes de cohabitation et de solidarité entre générations, ce qui se
traduisait notamment par la constitution de familles élargies pluri-
générationnelles et de groupements locaux de défense. Mais entre-temps la mort
a reculé, réduisant les menaces qui pesaient sur les catégories les plus exposées,
les enfants, les mères, les vieillards, et l’État s’est de plus en plus imposé comme
l’organisateur de la protection et de la sécurité collective, se substituant à la
famille et aux groupes primaires de proximité.
Aujourd’hui la situation a encore progressé, puisque les difficultés financières
des gouvernements et les attaques réitérées contre “l’état providence” ont conduit
les pouvoirs publics à remettre en question un certain nombre de leurs
engagements et de leurs responsabilités, recherchant dans les mouvements
associatifs des relais pour assurer certains des rôles traditionnellement dévolus
aux familles et au voisinage.
... mais les sociétés vieillissantes le sont plus encore.
Pourtant, il existe une différence fondamentale entre les situations anciennes et
les situations contemporaines, qu’on pourrait résumer en disant que nos sociétés
sont plus multigénérationnelles qu’elles ne l’ont jamais été et que leur caractère
multigénérationnel accentué constituera probablement un des défis les plus
importants qu’elles auront à rencontrer dans les années ou les décennies à venir.
Et deux grandes “causes” peuvent être associées à cette évolution, l’une en
rapport avec la dimension horizontale de l’intergénérationnel, l’autre avec sa
dimension verticale. La première tient à ce qu’il est convenu d’appeler
l’accélération de l’Histoire, qui a provoqué l’apparition de plus en plus rapide de
générations-événements nombreuses et contrastées. Augustin Cournot,
mathématicien et philosophe français du XIXème siècle essayait de faire une
lecture de l’histoire des Temps Modernes en organisant un découpage séculaire
en trois segments générationnels mis bout à bout.

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Mais de nos jours, la succession des événements est tellement rapide que la
distance entre deux générations significativement différentes n’est plus le quart
ou le tiers du siècle, ni même la décennie, mais des durées plus courtes, tant des
faits et des circonstances nouvelles se bousculent au portillon de l’actualité,
chaque groupe générationnel pouvant se déterminer par rapport à ceux-ci en les
intériorisant ou en les adoptant comme des repères ou des marqueurs
d’identification sociale. Pour prendre un exemple emprunté à l’informatique, il
est clair que la génération “Apple” risque de ne pas s’identifier avec la génération
“Commodore” ou “Sinclair” et que les nouveaux venus du multimédia sur
internet ne se sentent pas très proches des pionniers des ordinateurs personnels
ou des adorateurs de la petite pomme rouge.
La seconde cause se rapportant à la dimension verticale de l’intergénérationnel
tient à la profonde révolution épidémiologique qui a permis les remarquables
progrès de longévité ayant marqué le XXe siècle et qui ont eu pour conséquence
dérivée de faire coexister dans le même espace temporel des “générations
familiales” nombreuses qui autrefois ne partageaient que de brèves périodes de
vie commune. Paradoxalement, alors que les familles nombreuses sont en voie
de disparition rapide, les générations nombreuses ont tendance à s’y substituer.
Figure 2 : L’élargissement de la parentèle : les familles à quatre générations
(d’après les niveaux de mortalité en Belgique, 1994)
Résultats : une fille de 5 ans a en moyenne 3,4 grands-parents survivants (sur 4 possibles et
1,8 arrière-grands-parents survivants (sur 8 possibles)
Source : l’auteur
Fille
(p
5
= 0,994)
P
(p
34
= 0,968)
M
(p
31
=0,986)
GP
(p
63
= 0,823)
GM
(p
60
= 0,922)
GP
(p
60
= 0,858)
GM
(p
57
= 0,936)
AGP
(p
92
= 0,057)
AGM
(p
89
= 0,282)
AGP
(p
89
= 0,115)
AGM
(p
86
= 0,411)
AGP
(p
89
= 0,115)
AGM
(p
86
= 0,411)
AGP
(p
86
= 0,199)
AGM
(p
83
= 0,534)
0,045
0,223
0,102
0,365
0,097
0,346
0,183
0,490
+
+
+
+
+
+
+
= 1,85

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On le sait, les conditions actuelles de longévité permettent la présence
simultanée dans certaines familles de quatre ou cinq générations en filiation
directe, et même si les périodes de vie réellement partagées ne sont pas toujours
plus longues qu’autrefois pour tous, la nature des relations entre les membres de
la parentèle est appelé à changer considérablement : comme l’écrivait A.
Cournot, “une plus grande durée de compagnonnage favorise les influences
réciproques, accentue les rapports de compétition ou de coopération selon les cas,
modifie, aux diverses étapes du parcours de vie, la configuration des enjeux liés à
la séparation, à la distribution du pouvoir, à la détention et à la répartition des
biens économiques et symboliques”.
Les rôles des femmes et des hommes y sont bouleversés
On pourrait donner de multiples exemples des changements induits par cet
allongement de la vie et par la multiplication des générations. Ainsi, la femme
mariée dans la cinquantaine risque d’avoir à la fois des petits enfants et de
posséder encore ses parents ou beaux-parents, de sorte que les contraintes qui
pèsent sur elle peuvent devenir très lourdes, dans la mesure où elle est sollicitée
à la fois par le bas et le haut de l’échelle des âges et qu’elle est parfois
littéralement transformée en femme “Atlas”, obligée de supporter et d’entretenir
à la fois ses descendants et ses ascendants, tout en exerçant souvent une
profession extérieure, et de devenir, parfois contre son gré, un véritable otage
familial de l’intergénérationnel.
Pour l’homme, même si ses rôles familiaux et domestiques sont sensiblement
différents, et s’il bénéficie moins des progrès de longévité à cause de la
surmortalité masculine qui donne un avantage de survie de 5 à 8 ans
supplémentaires en moyenne aux mères, il n’empêche que s’il est retraité ou
préretraité à 55 ans, il conserve une perspective de vivre encore 20 ou 30 ans en
dehors des contraintes du travail, dans une optique de temps libéré, ce qui
contraste fortement avec la situation qui prévalait encore dans les années
d’immédiat après-guerre, où la retraite était pour beaucoup de travailleurs
l’antichambre de la mort en ne la précédant que de peu de temps.
Arrivé à cette phase de sa vie, il a aussi de sérieuses chances d’avoir encore
plusieurs de ses parents et/ou beaux parents survivants, et il ne deviendra
probablement orphelin complet qu’après avoir déjà quitté la vie professionnelle
depuis plusieurs années. Conséquence concrète immédiate : deux générations de
retraités en rapport de filiation directe sont appelées à se côtoyer, et parfois à
cohabiter et à s’entretenir mutuellement.
Conséquence indirecte : si les enfants sont quasiment assurés de garder leurs
parents jusqu’à un âge avancé, ils doivent aussi se résoudre à ne pas hériter de
leurs géniteurs avant d’être eux-mêmes retraités, à un moment où leurs besoins

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financiers sont sans doute moindres et leurs projets d’investissements mobiliers
et immobiliers réduits.
A travers ces quelques illustrations, on découvre donc que l’intrusion de
l’intergénérationnel dans le discours des chercheurs et dans la pratique des gens
de terrain n’est pas un phénomène aléatoire, ni une mode, mais qu’elle
correspond à un besoin nouveau répondant lui-même à une situation nouvelle.
Le principal problème que pose l’existence de générations nombreuses, à la fois
dans la parentèle et dans la société, c’est d’abord le fait que le flux générationnel
s’est considérablement accéléré mais aussi et surtout le fait que l’on assiste à une
diversification accrue des situations et des conditions de vie des diverses
générations. Bien évidemment toutes les générations n’ont pas des besoins ou
des aspirations identiques, et là où certains aspirent à plus de loisirs, de voyages
et de divertissements, d’autres espèrent avoir une utilité collective, tandis que
d’autres encore se réfugient dans le travail et dans la reconnaissance
professionnelle, sans parler des générations d’enfants, d’adolescents et
d’étudiants qui ont aussi des demandes fondamentalement différentes.
La multiplicité des générations menace les équilibres de nos sociétés
Or, il est toujours extrêmement difficile dans une collectivité de satisfaire
simultanément des besoins très différents, et parfois même opposés, alors que la
disponibilité de moyens limités impose généralement des arbitrages complexes et
des choix délicats. Faut-il encourager l’épargne ou la consommation, favoriser les
jeunes ou les vieux, construire des écoles ou des maisons de repos, améliorer les
conditions de vie pénitentiaires ou indemniser les victimes, assurer la protection
des personnes ou des biens...? Autant de questions qui ne peuvent généralement
pas recevoir de réponses simples ou uniques, lesquelles ne sont d’ailleurs jamais
exemptes de considérations normatives ou idéologiques.
Figure 3 : La double dimensionnalité des générations dans les sociétés
multigénérationnelles.
.
a
u
t
re
s
st
ru
c
tu
r
e
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te
c
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structures sociales
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â
appro che longitudinale
fo rmatio n des générations-événemen ts
dan s l'His toire sociétale
approche transversale
relations de filiation dans la parentèle
Age
Temp s

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Source : l'auteur

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Et peut-être existe-t-il là une possibilité de déstructuration de nos sociétés dans
la mesure où, étant composées de segments sociaux animés d’intentions aux
caractéristiques très diversifiées et de besoins fortement différenciés, elles
risquent de devenir de plus en plus difficiles à gérer. Car souvent les politiques
adoptées par les pouvoirs publics, qu’elles soient sociales, économiques,
sanitaires ou culturelles, sont uniformes et tiennent peu compte des disparités
entre les différentes couches de la population.
Figure 4 : Une typologie des générations selon Xavier Gaullier (1999) : quels
risques de conflits intergénérationnels ?
1900 - 1920
Générations « reléguées » (les grands vieillards -
problèmes nombreux et mal résolus de dépendance, de
solitude, de pauvreté, de santé)
1920 - 1945
Générations des « trente glorieuses » (actuellement à la
retraite = welfare generation)
1945 - 1975
Générations du « baby-boom » = générations sacrifiées ou
des « born to pay » (chômage, stagnation des salaires,
cessation d’activité anticipée, etc.) retraite à partir de
2005
1975 - 2000
Générations « de la crise » (dépendance - inégalité)
retraite à partir de 2035
2000 - ?
Générations « des enfants », retraite à partir de 2060
(incertitude maximale sur l’avenir)
Source : adapté par l’auteur d’après : Xavier Gaullier, Les temps de la vie. Emploi et retraite,
Paris, Ed. Esprit, 1999
La question qui se pose donc avec acuité est de savoir si le rythme de mise en
oeuvre de mesures d’adaptation sociétale pour limiter les conséquences négatives
du vieillissement démographique et sociétal sera suffisant pour absorber le flux
générationnel et pour faire front à la complexification des structures collectives.
Autrement dit, ce qui devrait être une source de progrès et une raison de
satisfaction (à savoir les progrès de longévité et de qualité de vie) risque de se
transformer en une cause de déstabilisation, de désordre et de chaos sociétal.
Il résulte notamment de ce diagnostic que tout doit être mis en oeuvre pour
encourager l’intergénérationnel, ou plus exactement pour assurer le
développement des solidarités intergénérationnelles, car l’intergénérationnel ne
peut se concevoir sans y intégrer une notion de solidarité.

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Et cela pour une raison simple, à savoir que les sociétés vieillissantes et
multigénérationnelles ont davantage besoin que toutes les autres de mécanismes
régulateurs non seulement pour assurer une répartition équitable des ressources
entre toutes les générations, jeunes et vieilles, et toutes les catégories, actives et
inactives, malades et bien portantes, mais aussi pour faciliter une
reconnaissance réciproque de toutes les générations les unes par rapport aux
autres, devant se traduire par la passation d’une sorte de nouveau contrat social
intergénérationnel ou chacun, quel que soit son âge ou son statut, se voit
reconnaître des droits et des devoirs équitablement répartis et assigner des rôles
sociaux en rapport avec ses compétences et ses aspirations.
Bien évidemment, dans une telle approche il y a un parti pris idéologique, celui
de la solidarité et de la priorité communautaire, plutôt que celui de
l’individualisme et de l’atomisation de la société.
… Et particulièrement en matière de sécurité sociale
Mais sans vouloir en aucune manière le renier, je postule seulement que c’est la
nature nouvelle des relations et des interactions entre les membres de ces
nouvelles sociétés multigénérationnelles qui rend ce choix quasiment inévitable,
sauf à accepter que les conflits ou les affrontements entre générations se
multiplient et débouchent sur la si souvent évoquée guerre des générations, qui
pourrait, si elle devait réellement avoir lieu, ne laisser que ruines et désolations
sur les vestiges d’une civilisation qui n’aurait pas réussi à absorber le choc de la
longévité et de la géritude.
Un exemple souventt:127">protection sociale, notamment en matière d’assurance vieillesse et de maladie.
Face aux deux grands principes antagonistes, par répartition ou par
capitalisation, la tentation est souvent forte de vouloir apporter la preuve
scientifique qu’un des deux systèmes est supérieur à l’autre, notamment en
termes de rentabilité financière. Pourtant cette démarche est absurde, dans la
mesure où les paramètres qui devraient être pris en compte pour permettre de
départager objectivement les deux systèmes sont trop nombreux et imprévisibles
dans leurs évolutions. Le choix final est donc nécessairement idéologique et il
correspond en définitive à opter entre deux modes radicalement différents
d’organisation sociétale dont l’un fait davantage appel aux mécanismes de
solidarité entre les générations. C’est seulement pour cette raison qu’il me paraît
de loin préférable à son concurrent, même si je peux admettre que l’argument de
renforcer les autres piliers de la protection sociale (par la capitalisation à travers
des assurances-groupes ou des assurances individuelles), pour assurer une
diversification des risques, n’est pas forcément dénué de fondement. En
revanche, on peut redouter que l’affaiblissement des systèmes de pension légale
fondés sur la répartition aboutisse à une déstructuration des solidarités inter-
générationnelles et à une fragilisation du tissu social.

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Certes, la question intergénérationnelle déborde largement celle du financement
de la protection sociale, mais il faut bien admettre que les autres formes de
solidarité entre les générations seront beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre
si les fondements de la solidarité collective publique sont sapés par la réduction
des pensions légales ou par une accessibilité moindre à des soins de santé de
qualité gratuits ou bon marché. Il se pourrait même que des poches de pauvreté
et de marginalité qui avaient été largement éradiquées, notamment chez les
personnes âgées, réapparaissent suite à ces atteintes au principe de solidarité.
Un principe de solidarité qui ne devrait d’ailleurs pas se limiter à la solidarité
entre les générations, quelle qu’en soit l’importance, mais aussi entre les
catégories sociales, les sexes, les régions et, bien entendu aussi, les nations.
La solidarité entre citoyens doit être globale.
On assiste de nous jours en effet à une certaine tendance à fractionner la
protection sociale et la solidarité entre des catégories distinctes de bénéficiaires :
les jeunes, les chômeurs, les malades, les retraités, etc... avec pour conséquence
dangereuse et perverse de s’attaquer au principe même de la solidarité, et du
même coup à celui de l'intergénérationnel puisque ces catégories correspondent à
des groupes d'âge différents.
Difficile en effet d’être solidaire des malades quand on est bien portant, des sans-
logis quand on est propriétaire ou des vieux quand on est jeune. Or la solidarité,
quand elle cesse d’être globale et organique, se transforme en assurance, puis en
protection, pour se dissoudre finalement dans l’assistance ou la charité dont on
assiste de nos jours à des formes de résurgence, notamment à travers la charité
spectacle.
Comme l’écrit Henri de France (1996), “lorsque le cadre économico-social qui
nous est familier depuis 50 ans (le jeu des intérêts privés corrigé par le filet
anonyme des “assurances sociales”) aura manifesté que sa fécondité est
désormais épuisée, ce sera alors comme en 1789 la fin d’un monde. Un réflexe
collectif de survie peut alors pousser les hommes à admettre qu’il n’y a de vie
sociale possible que constituée de cellules interdépendantes et solidaires. Ceci
n’empêcherait bien entendu ni les inégalités ni les conflits, ceux-ci ayant leur
place normale au sein d’une société organique ; mais cela amènerait chacun à
découvrir que la vie de l’autre lui importe et qu’il n’est pas possible à la tête de
dire aux pieds : “je n’ai pas besoin de vous”. La survie des groupes humains
dépend aujourd’hui de ce changement radical de perspective”.
L’auteur sera-t-il entendu ou ne fera-t-on que ce qu’on fait habituellement quand
on observe une brèche dans un de nos systèmes ou dans une de nos institutions :
on colmate la fuite jusqu’à la prochaine. Là est bien le danger, si nous ne
trouvons pas en temps utile les voies de la solidarité intergénérationnelle, comme

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nous avons facilement trouvé celles de l’informatisation de la société.

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L’intergénérationnel : “ça se vit et ça s’apprend” !
Et c’est pour cette raison que nous devons multiplier les efforts pour faire
prendre conscience à tous des enjeux de l’intergénérationnel et des efforts
collectifs et individuels à soutenir pour rendre viables les sociétés
multigénérationnelles qui se mettent en place progressivement. Cette
mobilisation des consciences est d’autant plus nécessaire qu’il faut aujourd’hui
être persuadé que le réflexe intergénérationnel n’est pas inné, mais qu’il doit
s’acquérir, et que, même s’il a existé de façon plus automatique et plus normale
sous d’autres formes à d’autres époques, il a aujourd’hui en grande partie perdu
ses fondements naturels, et qu’il faut donc procéder à un réapprentissage de cette
fonction oubliée de nos sociétés mais devenue vitale pour leur survie. Un
apprentissage qui sera d’autant plus difficile que les forces agissant en sens
inverse pour porter atteinte aux principes de solidarité intergénérationnelle
seront nombreuses et puissantes et souvent difficiles à contrer.
A ce stade du discours, probablement serez-vous tenté de poser la question clé :
mais concrètement que peut-on faire pour développer les solidarités
intergénérationnelles ? Je dirai d'abord que toutes les initiatives sont les
bienvenues, mêmes les plus modestes ou les plus élémentaires, car
l’intergénérationnel ne se décline pas dans un seul genre, ni sous un seul
nombre. L’important sera de faire preuve de créativité et d’innovation pour ne
pas se limiter aux formes les plus facilement imaginables d’activation du réflexe
intergénérationnel. L’important sera aussi d’arriver progressivement à une
organisation et à une structuration des projets et des initiatives, pour éviter leur
éparpillement et leur stagnation.
Certainement que les efforts déployés par le mouvement associatif dans ce
domaine seront décisifs, mais il ne faudrait pas pour autant que les pouvoirs
publics se tiennent à l’écart de ce courant, car leur rôle devra être essentiel pour
assurer le financement et la coordination des initiatives privées ou locales, mais
aussi pour garantir et organiser les formes supérieures de solidarité au niveau
national ou régional, comme la protection sociale, sans pour autant se limiter aux
formules traditionnelles parce qu’elle ne tiennent pas assez compte des
changements intervenus dans les structures de nos sociétés et dans la
modification des risques, aussi bien en matière de vieillesse que de protection de
la santé et de la qualité de vie des citoyens.
Même les entreprises devront être mises à contribution car il est évident qu’elles
sont trop souvent un vecteur de propagation des courants antivieux et des
conflits intergénérationnels, et qu’elles devront bien finir par prendre conscience
que la recherche du profit n’est pas leur seule finalité et qu’elles doivent s’insérer
dans un projet global de société où le bien-être des citoyens doit constituer une
priorité collective absolue.

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Passer à la vitesse supérieure
Ce qu'on peut affirmer, avec une relative assurance, c'est que malgré des efforts
louables et nombreux, on est loin d'avoir épuisé la liste des possibilités.
J'ajouterai même que j'ai le sentiment que nous avons jusqu'ici été plutôt timorés
et que nous avons fait preuve de trop de prudence ou de traditionalisme.
Demander aux jeunes de visiter des homes de vieillards ou à des aînés d'aller
raconter leurs expériences de vie dans des écoles ne peut constituer la forme
ultime ou principale des échanges intergénérationnels, même s'il a été
relativement normal de commencer par de telles initiatives qui restent
exemplaires et d'une grande utilité.
Mais il est temps de passer à une vitesse supérieure et d'étudier des formules
plus audacieuses ou plus institutionnalisées, aussi bien à travers des approches
en termes de bénévolat ou de seconde carrière, qu'à travers des projets
d'hébergement ou de prises en charge familiale. Depuis les familles d'accueil
pour les vieux isolés jusqu'aux banques ou l'on capitalise non de l'argent, mais du
temps consacré à des personnes âgées qu'on retrouvera plus tard sous forme de
services divers lorsqu'on sera soi-même âgé et de moins en moins en mesure de
s'assumer seul de façon autonome, les formules ne manque pas : il faut
seulement avoir la volonté de les explorer, mais aussi le courage de supprimer les
obstacles.
Il y a plusieurs années déjà, Maximilienne Levet-Gautrat, la dynamique
propagandiste du Mouvement de la Flamboyance évoquait parmi mille autres
pistes, la possibilité de lancer des emprunts à l'adresse des seniors pour faciliter
la création d'emplois et l'intégration des jeunes sur le marché du travail.
L'imagination est donc au pouvoir et la règle à suivre est simple : tout ce qui
encouragera le dialogue et les relations entre les générations sera favorable à
l'évolution harmonieuse et au progrès des sociétés vieillissantes ; tout ce qui au
contraire renforcera la compétition, l'égoïsme ou même la lutte ouverte les âges
deviendra un facteur de déstabilisation et de désordre.
Quelques principes de base à respecter
Plusieurs principes doivent cependant être rappelés pour efficacement guider les
actions intergénérationnelles :
- un principe de généralité : l'intergénérationnel ne concerne pas un seul
secteur de l'activité sociétale : il doit les parcourir tous, transversalement
depuis les niveaux microsociaux (par exemple la famille) jusqu'aux niveaux
macro-sociétaux (par exemple l'Etat) en passant par les niveaux mesociaux
(par exemple l'entreprise) ;
- un principe d'universalité : l'intergénérationnel ne doit pas être orienté

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vers des actions qui concerneraient exclusivement les personnes âgées : dans
le mot intergénération, il y a forcément l'idée de partenariat entre plusieurs
générations et il est impératif que toutes les générations correspondant à
tous les âges de la vie soient associées à ces projets. On a trop souvent le
sentiment que les seules générations impliquées sont seulement d'une part
les enfants en bas âge scolarisés et de l'autre, les personnes âgées, le plus
souvent
d'ailleurs dépendantes et institutionnalisées. Comme si
l'intergénérationnel ne se déclinait qu'aux deux bouts de l'existence vitale.
On est même parfois surpris de constater l'absence ou le manque total de
visibilité des classes d'âge intermédiaires, les adultes au sens restreint du
terme, c'est-à-dire les actifs qui sont pourtant souvent présentés comme les
seuls acteurs qui comptent, notamment sur le plan économique. Or, c'est pour
cette même raison, parce qu'ils détiennent les leviers du pouvoir et les clés
des coffres, qu'ils devraient être présents dans tous les aspects de
l'intergénérationnel. Sinon, ce serait donner raison à ceux qui pensent que
l'intergénérationnel se résume à n'être qu'un gentil dérivatif pour personnes
isolées, et finalement un simple "gadget d'animation" pour maisons de repos.
- un principe de réciprocité : les actions intergénérationnelles ne doivent pas
être à sens unique, orientées exclusivement vers les personnes âgées qui
seraient en quelque sorte les bénéficiaires principaux de ces activités en
termes de services ou d'attentions diverses qui leur seraient prodiguées. Bien
sûr, les problèmes posés par le vieillissement démographique tiennent
principalement à la montée en puissance des seniors, parallèlement à la
diminution des jeunes, mais il serait potentiellement dangereux que les
transferts intergénérationnels soient dirigés en faveur des seules personnes
âgées. Les images négatives de cette catégorie véhiculées dans nos sociétés et
les processus de marginalisation et de dévalorisation dont les personnes
âgées sont victimes, sont probablement dus en grande partie au fait que les
flux intergénérationnels de richesses (au sens large : monétaires, matériels,
services, …) tels qu'ils sont notamment objectivés par la comptabilité
nationale, apparaissent à beaucoup d'observateurs comme dirigés
principalement des classes jeunes et adultes vers les classes âgées. Et, c'est
bien le cas, si on observe les transferts liés à la sécurité sociale, dont les
branches "pensions" et "maladies" représentent une grande partie des
budgets disponibles qui profitent largement aux retraités.
Pour corriger cette mauvaise impression, il faudrait qu'une nouvelle forme de
comptabilité sociale intergénérationnelle soit mise en place qui tienne compte
de tous les transferts de richesses, matériels et immatériels, et notamment
ceux non monétarisés, qui vont des générations âgées aux générations jeunes
et adultes sous forme de multiples services et donations, aussi bien à travers
l'aide à la construction et à l'achat de biens durables, ou au financement des
études des petits enfants, qu'à travers le gardiennage des enfants en bas âge
ou l'entretien de la maison, le jardinage, la cuisine, le voiturage, etc.

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Quand le contrat est brisé: des systèmes de solidarité "aveugles"?
Figure 5 : Une vision des échanges intergénérationnels, dans le système
traditionnel et dans le système actuel, d’après David Cosandey (2003)
Les échanges intergénérationnels dans la vie
de l’individu :
le système traditionnel
La retraite traditionnelle :
familiale, coutumière, mais vrai échange
Le système actuel
Système actuel (aveugle) :
le contrat entre génération brisé
Un auteur suisse, David Cosandey, a produit récemment un essai assez controversé
(La Faillite coupable des retraites. Comment nos assurances vieillesse font
chuter la natalité, L'Harmattan, 2003) dans la mesure où il est apparu à beaucoup
comme un plaidoyer nataliste, mais qui a au moins le mérite de montrer que nos
systèmes de protection sociale basés sur un financement par répartition, quels que
soient les immenses progrès sociaux qu'ils ont permis de réaliser, présentent
l'inconvénient d'avoir en partie occulté les liens de solidarité réciproque qui
existaient dans le système traditionnel d'échanges intergénérationnels où les parents
et leurs enfants échangeaient tout au long du parcours vital: les parents nourrissaient,
logeaient, et éduquaient leurs enfants en échange de quoi ceux-ci, ayant atteint
l'âge adulte, entretenaient, soignaient et protégeaient à leur tour leurs parents devenus
âgés. Or, on pourrait croire que rien n'a fondamentalement changé avec l'instauration
de la sécurité sociale étatique, mais ce n'est pas le cas. David Cosandey parle
Couleurs=causalités
La génération
précédente
m’entretient
J’entretiens la
génération
précédente
La génération
suivante
m’entretient
Génération N
automatique
facultatif
Bilan peut être
déséquilibré!
Géné-
ration
N–1
Géné-
ration
N+1
Mes parents
me soignent
0 an
Je
soigne
mes
enfants
Je soigne
mes
parents
Mes enfants me
soignent
20 ans
40 ans
60 ans
80 ans
Les conditionnalités
respectent les causalités
Devoirs et droits sont en
phase.
Enfance
Parentalité
Dévoue-
ment filial
Vieillesse
Flèches=conditionnalités
Couleurs=causalités
Géné-
ration
N–1
Génération N
Géné-
ration
N+1
Bilan équilibré
(sauf accident)

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même à leur propos de systèmes "aveugles" qu'il propose de rendre "clairvoyants"
par une simple transformation des structures de transfert entre les générations,
en couplant le paiement d'allocations familiales renforcées et le paiement des
retraites grâce à un système de compensation donnant un avantage à ceux qui
auront contribué au renouvellement des générations par leur fécondité et une
"pénalité" à ceux qui auront préféré assurer leur bien être et leur confort
personnel.
Autrefois, c'était le fait de donner aux plus jeunes qui conditionnait le fait de
recevoir des plus vieux, alors qu'aujourd'hui non seulement les systèmes de
protection sociale sont devenus anonymes et déconnectés des liens familiaux, mais
ils ont de surcroît rompu le contrat entre les générations, en supprimant une
partie des relations de conditionnalité. Au lieu d'une double réciprocité, on a
affaire à une relation unilatérale d'obligations des générations actives à l'égard
des générations inactives.
On comprend mieux pourquoi tant de jeunes travailleurs trouvent injuste de de-
voir financer les retraites de leurs prédécesseurs à l'égard desquels ils n'ont même
pas le sentiment d'avoir des obligations puisqu'ils ne les assimilent pas à leurs
parents âgés (à cause du caractère anonyme des prélèvements et des transferts).
Et lorsque le gouvernement fédéral évoque chez nous "le pacte de solidarité entre
les générations", on est tenté de penser qu'il a peut-être abusé d'une terminologie
toute faite qui réduit à peu de chose la solidarité, puisque les mesures préconisées
se limitent pour l'essentiel au relèvement de l'âge de départ à la retraite et à la
réduction des charges salariales afin d'insuffler "un regain d'énergie à notre
économie" et de garantir "la pérennité de notre système de protection sociale".
Si les autorités politiques avaient voulu réellement renégocier un nouveau contrat
social, il aurait fallu qu'elles examinent de plus près toutes les raisons pour
lesquelles l'ancien était tombé en décomposition et renégocier un nouveau pacte
social entre les catégories sociales et les générations, avec un partenariat élargi à
tous les acteurs de la vie civile (et pas seulement les partenaires institu-tionnels
traditionnels, syndicats de travailleurs et représentants patronaux), notamment
ceux de la vie associative, afin de redonner à la solidarité collective des
fondements plus solides et plus consensuels.
Pour terminer, je voudrais lancer un avertissement. Qu'on ne s'y trompe pas : en
plaidant pour la reconnaissance de la primauté des solidarités intergénération-
nelles, il ne s'agit pas de rêver à un impossible retour aux sociétés traditionnelles,
mais de préconiser que tous nos efforts visent dorénavant à rendre au lien social
sa priorité oubliée et à réaffirmer la dépendance de l'économique par rapport au
social (et non l'inverse), sans laquelle nos sociétés risquent de succomber à
certaines de leurs tendances actuelles, que nous avions longtemps interprétées
comme des facteurs de progrès, mais qui semblent de plus en plus devoir être
déclinées aussi parfois comme des récessions et même comme des éléments de
désordre ou de chaos.

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Tableau 1 : Quelques exemples d’actions à entreprendre dans une conception élargie de la solidarité intergénérationnelle
Niveaux
Types de
contexte
Exemples de problèmes ou de difficultés
Exemples d’actions à entreprendre
Micro-
social
Famille
Affaiblissement de la reconnaissance à l’égard des générations
anciennes
Encouragements à la cohabitation intergénérationnelle (primes,
avantages fiscaux, etc.) et à une reconnaissance de la vocation
intergénérationnelle de la grand-parentalité
Maltraitance des vieux
Création de centres d’écoute pour recueillir les plaintes
Voisinage,
quartier
Isolement et solitude des personnes âgées avec des risques
accrus de morbidité
Mise en place de réseaux pour l’identification des personnes à
risques et leur surveillance/assistance
Habitat
Difficulté d’assurer le maintien à domicile des personnes âgées
et plus encore lorsqu’elles sont dépendantes et invalides
(victimes par ex. d’un accident cérébral ou d’un traumatisme
quelconque)
Organisation d’un service de prise en charge immédiate dès la
sortie de l’hôpital et le retour à domicile (pour pallier aux
délais d’intervention des structures plus officielles)
Développement d’habitats groupés et/ou d’habitats kangourous
Création de réseaux de bénévoles pour l’accompagnement des
personnes âgées dans leurs déplacements (courses, démarches
administratives, etc.)

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Niveaux
Types de
contexte
Exemples de problèmes ou de difficultés
Exemples d’actions à entreprendre
Mesosocial Local
(communes)
Absence de prise en compte des besoins réels des personnes
âgées en termes de logement, de mobilité, de loisirs, etc.
Généralisation des comités communaux consultatifs du
troisième âge (« Conseils des Sages »)
Création de comités de rencontre des générations avec pouvoir
de recommandations
Ecole
Contestation de l’autorité des enseignants, violences scolaires,
etc.
Organisation de groupes de dialogue élèves/enseignants
Développement d’une pédagogie intergénérationnelleet
renforcement des synergies entre établissement pour personnes
âgées et écoles pour l’activation de la rencontre générationnelle
Entreprise
Dénonciation des systèmes d’avancement par l’ancienneté
(âge), conflits de compétence générationnels
Organisation de débats dans l’entreprise sur la complémentarité
des âges et la nécessité de conserver une mémoire de ses
activités
Proposition de formules mixtes combinant
ancienneté/responsabilité et compétences nouvelles, avec
possibilités d’opérer des redéfinitions de fonctions en cours de
carrière
Exclusion des travailleurs âgés (quinquagénaires et au-delà)
Organisation de tutorat des nouvelles recrues par des
travailleurs chevronnés
Organisation de véritables contrats de pluriactivité en faveur
des travailleurs en fin de carrière afin d’assurer une transition
douce entre l’activité professionnelle classique et la retraite
(création d’une institution spécialisée)
Secteur des
banques et des
assurances
Dénonciation des pensions légales (premier pilier) en faveur des
second et troisième piliers (assurances privées)
Créer des comités d’éthique chargés de vérifier que les
campagnes de promotion et de publicité ne portent pas atteinte
aux principes fondateurs de la protection sociale en termes de
solidarité collective

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Niveaux
Types de
contexte
Exemples de problèmes ou de difficultés
Exemples d’actions à entreprendre
Mesosocial
(suite)
Maisons de
repos
Dépersonnalisation des résidents
Non respect du « projet de vie » des établissements
Développement d’une culture de « l’arc de vie » qui resitue la
personne âgée dans la totalité de son existence et pas seulement
dans la phase terminale
Mise en place de comités de surveillance composés de
pensionnaires, des membres de leur famille, et e personnes
étrangères à l’établissement
Développement d’ateliers intergénérationnels pour la
transmission de la mémoire

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Niveaux
Types de
contexte
Exemples de problèmes ou de difficultés
Exemples d’actions à entreprendre
Macro-
sociétal
Etat
Freins divers aux activités de bénévolat et de seconde carrière
Réforme juridique et fiscale permettant aux retraités de cumuler
des revenus complémentaires à leur pension
Reconnaissance du droit à la déductibilité fiscale de frais
professionnels liés à leurs activités participatives
Projet d’allongement des carrières et relèvement de l’âge légal
ou réel de cessation de l’activité en dépit des risques d’entrave
aux activités citoyennes et participatives des retraités
Dénonciation des effets pervers liés à ces réformes à finalité
purement budgétaire et organisation de groupes de pression en
vue de proposer des formules alternatives de financement et
d’organisation qui encouragent le droit à une retraite active
Affaiblissement des systèmes de retraite par répartition au
profit de formules mixtes avec capitalisation
Création d’une commission et/ou d’un ministère des relations
intergénérationnelles et des solidarités
Grandes
institutions
Faible visibilité des transferts (surtout non monétaires) entre les
générations dans les techniques de mesures utilisées par les
organismes producteurs de statistiques
Mettre en œuvre une comptabilité sociale intergénérationnelle
(à côté de la comptabilité économique classique) pour montrer
que les échanges entre les générations ne sont pas à sens
unique, même s’ils peuvent être encore déséquilibrés et que des
mesures d’adaptation s’imposent
Syndicats
Difficulté à gérer à la fois le travail (les actifs) et le non travail
(les inactifs) qui sont souvent perçus comme des concurrents
déloyaux par rapport aux travailleurs en poste
Montrer la complémentarité des deux groupes et le rôle social
et économique que les retraités peuvent jouer en mettant leurs
compétences au service de la collectivité
Renforcer les compétences des sections « aînés » au sein des
syndicats
Partis politiques
Fréquentes exclusions des aînés de la candidature à des
mandats politiques ou à des fonctions électives
Réformer les règlements introduisant des discriminations basées
sur l’âge et si nécessaire établissement de quotas électoraux
pour la participation active des aînés (comme pour les femmes)
au nom d’une citoyenneté universelle
Mise en place de groupes de réflexion pour étudier
l’opportunité et les conditions de partis politiques représentatifs
des aînés

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Médias,
agences de
publicité, etc.
Diffusion de représentations et de modèles catastrophistes sur
la vieillesse et les sociétés vieillissantes
Développement d’une éthique professionnelle interdisant les
images de la vieillesse dévalorisantes et encourageant les
approches positives

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Eléments bibliographiques
C. Attias-Donfut, Les solidarités entre générations. Vieillesse, familles, Etat, Paris, Nathan,
1995
D. Cosandey, La faillite coupable des retraites. Comment nos assurances sociales font chuter
la natalité, Paris, L'Harmattan, 2003
H. de France, La solidarité et ses fondements implicites : les conditions d'un retour à une
vision organique de la société, in A. Euzeby et C. Euzeby (Eds), Les solidarités, fondements
et défis, p 1-22, Paris, Economica, 1996
X. Gaullier, Les temps de la vie. Emploi et retraite, Paris, Ed Esprit, 1999
Inégalités et solidarités intergénérationnelles, in l'Observatoire, dossier spécial, n° 29, 2000
R. Vercauteren, M. Predazzi, M. Loriaux, L'intergénération, une culture pour rompre avec
les inégalités sociales, Eres, Coll. Pratiques gérontologiques, Ramonville Saint Agne, 2001
(version anglaise également disponible)




Created: 11 Mar 2007 – Last modified: 05 Aug 2012